22 Août 2006
Où vont les normes internationales de l’I.A.S.B. ?
ou de la juste à l'injuste valeur comptable
(Neuvième partie)
Les opérations de regroupement, dans le langage de l’IASB, comprennent les opérations de fusion et de consolidation. Elles sont actuellement réglementées, pour l’essentiel, par l’IAS 22 révisé en 1993. L’ensemble fait l’objet de deux grands projets de normes IFRS dont le premier (ED 3 Business Combinations) a été publié en décembre 2002. Le second volet devrait l’être très bientôt. L’ensemble entrera en vigueur en 2005. Bien que ces textes ne soient pas aussi ouvertement orientés sur la juste valeur que les IAS 32 et 39 sur les instruments financiers, ils en élargissent le champ d’application d’une manière particulièrement forte. C’est cette orientation sournoise qui nous conduit à craindre plus que tout que l’on s’oriente vers une « injuste valeur comptable ».
Une définition du principe de détermination des justes valeurs (1)
La norme actuelle (IAS 22) explicite la marche à suivre pour déterminer la juste valeur des actifs identifiables et des dettes acquises lors d’un regroupement (fusion ou prise de participation et de contrôle). Les règles sont les suivantes (reprises in extenso dans l’appendix B du projet ED 3) :
· Les valeurs mobilières sont évaluées à la valeur de marché lorsqu’il en existe un. On peut remarquer qu’il n’est pas fait référence à un marché actif, ce qui n’est pas le cas dans un paragraphe suivant relatif aux actifs incorporels.
· Lorsqu’il n’existe par de marché, on peut prendre en considération des éléments tels que le PER (Price Earnings Ratio), les dividendes passés et le taux de croissance pour des valeurs comparables ayant des caractéristiques identiques. Il n’est pas fait référence à l’utilisation d’un modèle d’évaluation généralement admis.
· Les créances et les dettes sont estimées à leur valeur actuelle compte tenu d’un taux d’intérêt courant approprié et des éventuelles provisions pour dépréciations. Pour les éléments à court terme, l’actualisation est facultative.
· Les stocks de matières premières sont évaluées au coût de remplacement. Les autres stocks (produits en-cours, produits finis et marchandises) le sont sur la base du prix de vente diminué des frais de production restant à supporter, des frais de vente et d’une part de profit raisonnable dont l’estimation est basée sur le profit de biens similaires.
· Les terrains et les immeubles sont évalués au prix du marché.
· Les biens de production sont évalués au prix du marché ou, lorsque ceci est impossible, à leur valeur de remplacement.
· Les actifs incorporels sont évalués au prix du marché si celui-ci est actif (précision absente pour les autres points précédents), sinon ils le sont sur la base d’une transaction à armes égales entre des personnes normalement informées, agissant sans contraintes.
Ces règles se limitent plus à la simple prise de contrôle d’une autre entreprise depuis la parution (juin 2003) de la version définitive de l’IFRS 1, First-time Adoption of International Financial Reporting Standards[1] qui leur confère un véritable caractère de principes d’évaluation de la juste valeur puisque le point 14 précise :
IAS 22 Business Combinations explique comment déterminer les justes valeurs des actifs identifiables et des dettes acquises dans une opération de regroupement. Une entité doit appliquer ces explications pour déterminer les justes valeurs conformément à cet IFRS...
Ainsi, lors de la première application des normes internationales, l’entité doit se conformer aux règles de l’IAS 22 pour évaluer ses actifs et ses dettes selon les normes IASB. On comprend alors facilement le caractère de principe pour toutes les sociétés cotées européennes en 2005.
Une très forte extension de la juste valeur dans les opérations de regroupement (2)
Pour comprendre où nous conduisent les réformes en cours, il est nécessaire d’exposer d’où sont parties les normes internationales et quel chemin elles ont déjà fait. Pour que cet exposé très technique soit aussi clair que possible, nous l’illustrerons par des exemples.
En pratique les effets sur les comptes consolidés peuvent être extrêmement divers principalement en fonction de trois facteurs déterminants : l’importance des sur-valeurs (goodwill au sens large[2]), celle des éléments à durée indéterminée (non amortissables) et celle des minoritaires. On peut y ajouter l’évolution de ces paramètres dans le temps lorsque la prise de contrôle s’effectue sur une période relativement longue. Il existe trois grandes « familles » de consolidation pour représenter la société mère et ses filiales, toutes regroupées sous le vocable très général « d’intégration globale ». Il n’y a aucune différence notable entre elles lorsque le groupe acquiert l’intégralité du capital en une seule opération. Dans tous les autres cas, des différences, souvent sensibles, apparaissent et les comptes consolidés ne peuvent pas être réellement comparables. Pour illustrer les décalages provoqués par les différentes conceptions[3], successivement admises comme méthodes de références de l’IASB, nous retiendrons l’exemple suivant :
Une entreprise prend le contrôle d’une filiale en acquérant 60 % en N1 de son capital et de ses droits de votes. Les données simplifiées sont les suivantes :
| N1
|
Actifs
| 1 500
|
Passifs (dettes)
| 700
|
Actifs nets (valeur comptable)
| 800
|
Juste valeur des actifs nets
| 1 300
|
Juste valeur de l'entreprise
| 2 000
|
Part acquise
| 60%
|
Prix payé
| 1 200
|
Remarque : la juste valeur des actifs nets est limitée aux actifs et passifs identifiables alors que celle de l’entreprise est une valeur globale intégrant des éléments complémentaires non identifiables comme la réputation, le savoir-faire ou les profits futures escomptés.
· La première méthode est le Propietary Concept[4]. Le prix global payé par le groupe pour acquérir la participation se décompose en deux : la part correspondante dans la juste valeur des actifs nets de la filiale acquise et le solde du prix payé qui représente l’écart d’acquisition (goodwill au sens habituel). Le reste d’actif net possédé par les minoritaires reste évalué à la valeur comptable. Si l’acquisition par le groupe s’effectue en plusieurs fois, chaque investissement est décomposé selon les règles précédentes sur la base des justes valeurs à cette date. En principe (mais le contraire existe aussi sur option), les différentes estimations des acquisitions par le groupe ne sont pas réactualisées lorsque le contrôle exclusif est atteint et le processus se continue pour d’éventuelles acquisitions effectuées après la prise de contrôle. Cette méthode d’intégration globale est celle de référence de l’IAS 22 actuellement en vigueur[5].
En prenant les données de l’exemple, selon ce concept, la décomposition des droits des majoritaires et des minoritaires s’effectue de la façon suivante :
| Majoritaires
| Minoritaires
|
Part d'actifs nets comptable
| -
| 320
|
Part de juste valeur des actifs nets
| 780
| -
|
| 780
| 320
|
Part de juste valeur globale (prix payé)
| 1 200
| -
|
Goodwill
| 420
| -
|
Lors de l’élaboration du bilan de consolidation en N1 (après prise de contrôle), les actifs comprennent la part des plus-values latentes acquises par les majoritaires = (1 300 - 800) * 60 % = 300, alors que celle des minoritaires reste évaluée à la valeur comptable. Le bilan consolidé est le suivant :
Actif
|
|
Goodwill
| 420
|
Actifs
| 1 800
|
| 2 220
|
Passif
|
|